Extrait de "Lui et moi" par  Ilyass Alien. 

  " Il fut un temps où j’écrivais chaque jour ce que je ressentais, ce qui se passait dans ma triste vie d’enfant, où je parlais de mes rêves, de mes envies, de mes désirs. J’écrivais toujours en langage codé, par peur qu’un jour ma mère puisse trouver mes carnets. Je les mettais dans des sachets puis je les enterrais dans mes pots de fleurs.

  J’ai vécu toute ma vie avec la peur que quelqu’un découvre mes pensées les plus intimes. Il m’arrivait même d’éviter les enfants de mon âge, parce qu’à l’époque j’adorais les films de super héros et que je commençais à croire à la télépathie. J’évitais donc les enfants, de peur qu’ils n’écoutent mes pensées.

  Pour les plus grands de mon école, j’étais une proie facile. J’étais toujours seul dans la cour de récréation et, comme j’étais efféminé, je subissais leurs violences. Personne ne prenait ma défense. Au contraire, les professeurs me battaient à leur tour et, une fois de retour à la maison, je découvrais qu’ils avaient dit à ma mère que j’étais efféminé et qu’il fallait faire quelque chose.

  Toute ma famille se retrouvait alors investie de la mission divine « d’agir », ce qui a eu pour résultat de me couvrir de bleus, d’ecchymoses, partout sur mon corps. Ma mère n’hésitait pas à me bâillonner..."

Extrait de "L'amour n'est pas un crime" par Izgar Belrhali. 

  "Je me rappelle ce jour où nous étions partis à la plage, j’avais 8 ans. Sur le sable j’avais aperçu un groupe de filles qui jouaient, je me suis approché.e et elles m’ont demandé « Comment tu t’appelles ? » J’ai répondu « Anas » — Anas, c’était le prénom que portaient beaucoup de mes petits copains du quartier ; j’aimais jouer avec les garçons, et moi aussi je voulais qu’on m’appelle Anas.

  J’étais donc sur la plage, les filles avaient accepté que je joue avec elles quand ma mère est venue vers nous en criant « Hajar! Hajar! » Moi je ne répondais pas. Alors ma mère a interpellé certaines filles du groupe pour qu’elles m’appellent à leur tour, mais je ne voulais toujours pas répondre. Hajar ce n’était pas moi. Quand elle est arrivée près de moi, elle m’a tiré.e par le bras et a lancé aux filles « Ce n’est pas un garçon ! C’est une fille et son nom est Hajar ! » Ça m’a rendu.e très triste."


Extrait de "Souad et Fatiha" par Fatimzahra Amezgar. 

   "(...) Nous sommes allées boire une limonade derrière l’école. Elle a allumé une cigarette et a voulu la partager avec moi. J’ai dit non, mais elle a commencé à me taquiner en m’imposant la cigarette. Soudain, j’ai senti ses lèvres toucher les miennes. Je n’ai pas pu résister. Mon premier baiser. J’avais l’impression d’être comme une terre sèche qui avait tant besoin d’être arrosée. Pour une fois je savais ce que je voulais. Quel sentiment incroyable !  Et, quand ça a été fini, je n’ai pas trouvé mieux à dire que : « Je sais embrasser? »

  En regagnant le bus, j’étais complètement euphorique. J’aurais aimé que le baiser dure plus longtemps. Je cherchais un moyen pour la pousser à m’expliquer ce qu’il venait de se passer. Mais elle, elle parlait d’autre chose. Elle voulait savoir ce que je pensais de la loi qui criminalise l’homosexualité et  me demandait pourquoi les homosexuel.le.s sont opprimé.e.s. Elle parlait fort, j’essayais de parler plus doucement — ici c’est mon lieu de travail et je n’avais aucune envie d’étaler ma vie privée devant tous les passagers. Je voulais comprendre. « Qu’est-ce que l’homosexualité ?

Extrait de "Homophobie coloniale" par Sofiane H. 

   "(...) Maman, pendant tout ce temps, je t’ai accusée d’opprimer ma sexualité au nom de ta religion, de tes traditions. À force, j’étais moi-même devenu homophobe. Je me détestais. En réalité, tu n’étais pas responsable de tous mes malheurs. Je ne connaissais pas l’histoire. Mon histoire. Ton histoire. L’histoire de ce pays. Le Maroc. Un Maroc colonial.

  Je t’ai haïe par moment, toi ma génitrice et j’en suis arrivé à aimer mon bourreau, le confondant avec mon libérateur. Celui qui m’a appris à me détester et à ne m’aimer qu’à travers lui. Qu’à travers sa langue, sa civilisation, sa culture… Même aujourd’hui, pour te parler maman, je suis incapable de le faire dans notre langue. Je suis obligé d’utiliser la langue de l’autre. Cette langue. Leur langue.

 Maman, regardons la vérité en face. Il est quand même évident que c’est la langue française qui m’a permis de comprendre que l’homophobie est coloniale. J’ai compris, en lisant les livres des autres, que c’était toujours les oppresseurs qui s’emparaient de l’histoire. Notre histoire. Et, même parmi les nôtres, ceux qui racontent cette histoire ne font que reproduire la parole des autres. 

Extrait de "Le coming in" par Zineb Diouri-Ammor

   " (...) Iel s’est mis.e à parler librement et sans tabou aucun de son expérience personnelle au Maroc : iel se présente comme une personne non binaire et a été outé.e à 16 ans via des messages trouvés sur son téléphone portable, sa famille aisée mais conservatrice lui a imposé une thérapie de conversion à la sauce marocaine qu’iel a été contraint.e de suivre. « Je devais me lever à cinq heures du matin tous les jours pour lire le Coran pendant deux heures consécutives, faire la prière sans cesse comme pour revenir à moi et laver mes péchés. »

  Iel raconte aussi le mépris et le dégout de ses proches :  « J’ai des grands frères, ils sont machos et me disaient que j’allais humilier leur nom et leur famille. Pourtant, ce qui m’a le plus choqué.e, c’est leurs questions violentes et intrusives. Et il y en a deux qui revenaient sans cesse : “Tu es actif ou passif ?” Comme si être actif rendait les choses moins graves à leurs yeux… “Est-ce que tu as déjà ressenti du désir pour l’un d’entre nous ?” Comme si être gay c’était être déviant, tordu et incestueux. C’était des interrogatoires quotidiens pendant plusieurs heures. Ça pouvait arriver à n’importe quelle heure, n’importe quel endroit. Tous les tabous sautaient. C’était intrusif, vulgaire et violent. Les minutes duraient une éternité. Un temps pendant lequel j’ai appris à m’évader mentalement pour me protéger. D’ailleurs, vu mon jeune âge à l’époque, je ne m’étais moi-même jamais posé la majorité des questions avec lesquelles ils me fustigeaient. J’étais confiné.e à la maison, avec interdiction formelle de sortir non accompagné.e. Aucun moyen de communiquer avec le monde extérieur. Ils ont fini par gagner… Après quelques mois j’avais perdu toute confiance en moi, je n’avais plus la force de parler, d’expliquer ou de me battre. J’avais l’impression d’être devenu.e l’ombre de moi-même. Mon âme n’était plus là, ma voix n’était plus là. J’étais privé.e de tout, même de pleurer car, évidemment, les hommes ne pleurent pas. "

Extrait de "Lettre à un.e jeune gay. marocain.e" par Abdellah Taïa.

  " Cher.e jeune gay marocain.e,

  L’amour, la beauté et la liberté n’ont besoin de personne pour être définis. Ils sont en nous, en toi, éternellement, sans l’autorisation de l’autre, de tous ces autres tellement proches de toi et qui, pourtant, continuent de t’opprimer aujourd’hui encore, de te pousser vers le malheur, le suicide, vers la solitude et l’oubli.

 Le monde est en train de chuter, il vit entre quatre murs, le Coronavirus a pris le contrôle et a installé la peur. La peur dans l’air. La peur qui unit et désunit. La peur est là, les masques tombent.

  On ne cesse de nous dire, depuis quelques mois, que les êtres humains doivent changer. Ils ne seront plus cruels, ils ne seront plus égoïstes, ils ne seront plus des hypercapitalistes, des consommateurs effrénés et effrayants. Je ne sais pas si je dois croire tous ces beaux discours. Les beaux mensonges sont partout.

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